エピソード

  • Ouzbékistan: Sharifa Madrakhimova, une journaliste et militante primée empêchée de sortir du pays
    2025/06/14

    En Ouzbékistan, une journaliste indépendante et engagée a récemment été empêchée de sortir du pays pour recevoir un prix. Cela fait des mois qu’elle était soumise à différentes formes d’intimidations et de pressions de la part des autorités. Son tort: enquêter de manière engagée sur le sort des agriculteurs forcés de planter du coton, une culture stratégique pour ce pays d’Asie centrale, mais où perdurent des pratiques abusives. Rencontre avec Sharifa Madrakhimova, une journaliste sous pression.

    C’était en février dernier. Sharifa Madrakhimova vient de publier une vidéo en ligne. Elle fait parler un agriculteur pourchassé par les autorités. Il avait en effet osé planter des fraises dans son champ pour agrémenter ses revenus, alors que le gouvernement ouzbek lui impose de se concentrer sur le coton. Une culture stratégique mais moins rentable.

    Tout de suite, les menaces arrivent contre Sharifa : « J’ai eu une convocation de la police en charge de la lutte contre le terrorisme : ils affirmaient qu’un fonctionnaire avait déposé plainte contre moi. C’était suspect, car je n’avais jamais rencontré cette personne. »

    Grâce à un avocat fourni par une association, Sharifa a pu contester cette convocation, et éviter une possible arrestation. Mais ce n’était pas la première intimidation : l’année dernière, elle a été attaquée par deux hommes proches du pouvoir. Cette fois, la police n’a pas enquêté.

    Pour Umida Niyazova, directrice du Forum ouzbek pour les droits de l'homme, les reporters sont des cibles régulières dans le pays. « Les autorités considèrent que les journalistes et les militants qui enquêtent sur les droits des travailleurs menacent la sécurité nationale, c’est pour cela que les policiers en charge de suivre les militants des droits de l'homme appartiennent au service de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. »

    En Ouzbékistan, l'État contrôle largement la presse et la télévision. La répression des journalistes indépendants s'était toutefois réduite avec l'arrivée d'un nouveau président, en 2017, mais elle a repris depuis 3 ans. Surtout pour les reporters qui traitent de cette filière stratégique du coton, comme Sharifa Madrakhimova. Et c'est certainement pour cela qu'elle a été empêchée de sortir du pays: en mai dernier, elle devait recevoir un prix de l'ONG internationale Front Line Defenders, mais son passeport lui a été livré endommagé, et donc inutilisable. Ces menaces n'entament cependant pas le courage de cette journaliste.

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    « Quelqu'un doit diffuser les voix des personnes qui souffrent. Si tout le monde a peur de le faire, nous perdons le combat. Je le fais car on ne peut pas m'obliger à me taire. Et maintenant, je ne peux plus reculer. Ce prix a attiré l'attention sur moi. Quand il a été annoncé, j'ai constaté que j'étais surveillée par les autorités, mais en général, je pense que cette attention internationale peut me protéger. »

    Lors de la remise de ce prix à Dublin, fin mai, sa voix a bien été entendue: Sharifa avait enregistré un message vidéo, qui a été diffusé sur grand écran lors de la cérémonie.

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  • Les journalistes gazaouis réclament un statut de victimes à la Cour pénale internationale
    2025/06/07

    Depuis le début de la guerre contre Gaza, près de 200 journalistes palestiniens ont été tués sur place, selon Reporters sans frontières (RSF). L'ONG française a porté plainte auprès de la Cour pénale internationale (CPI) et réclame en plus que les reporters puissent bénéficier du statut de victimes auprès de l'instance internationale. Une démarche inédite. Un de ces journalistes actuellement témoin dans la procédure, c'est le photoreporter Mohamed Zaanoun. Il était à Paris cette semaine pour témoigner au nom de ses collègues palestiniens morts et vivants de Gaza.

    En 20 ans de journalisme à Gaza, Mohamed Zaanoun a couvert 10 guerres israéliennes. « Être journaliste à Gaza, c'est aussi chercher à survivre, tenter de sauver ses proches », raconte t-il.

    Vivant désormais en exil en Europe, il a témoigné à l'Assemblée nationale ce mardi au micro de Lila Okiunora : « Le danger est toujours là. Mes frères et sœurs sont eux aussi journalistes. Durant 20 années, je me suis attelé à enseigner et à former ma propre famille au journalisme. Ils font le même métier. Il y a quelques jours, mon petit frère a été blessé directement en couvrant la situation, le génocide en cours dans la bande de Gaza. »

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    Mohamed a perdu sa maison et aussi une partie de son visage dans une frappe israélienne à Gaza. Il avait dû se tenir loin de sa famille pour ne pas l'exposer aux frappes. Car, oui, les journalistes à Gaza sont des cibles de l'armée israélienne : Reporters sans frontières peut le prouver pour au moins 45 des 200 journalistes tués depuis 2023.

    Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de RSF : « C'est largement, pour ne pas dire uniquement, grâce à ces journalistes qu'on est capables aujourd'hui de voir ces crimes que l'armée israélienne est en train de commettre dans la bande de Gaza. Et c'est pour ça qu'ils sont ciblés. C'est pour ça aujourd'hui qu'on défend ces journalistes. C'est une action inédite un peu. Aujourd'hui, on a envoyé des demandes de participation de journaliste qui sont heureusement vivants, qui ont survécu à ce massacre. Ils sont en exil et On demande que la Cour les accepte en tant que victimes, parce que le statut de victimes devant la Cour diffère de celui des témoins. Ils ont la chance de demander des réparations, d'être entendus de façon différente devant la justice internationale. On a des preuves, des éléments, des témoignages qui montrent une vraisemblance de ciblage direct de ces journalistes. »

    RSF a déposé quatre plaintes au total devant la CPI, pour enquêter sur les crimes contre les journalistes à Gaza. Des journalistes qui, en plus des bombes, sont aussi victimes de critiques disqualifiantes : tantôt accusés d'antisémitisme ou d'être le relais de propagande du Hamas.

    « Couvrir ce qui se passe n'était pas un choix. J'ai été obligé de le faire, car autour de moi, il y avait l'oppression, les meurtres, la famine, le siège, le génocide. Et donc, il me fallait transmettre tout cela de façon fidèle et réaliste. Le vrai journaliste, c'est celui qui voit avec ses yeux d'humains et transmet de façon professionnelle ce qui se passe. »

    En attendant que la justice fasse son chemin, Mohamed, loin de Gaza, tente de faire entendre la voix de ses collègues, tout en gérant ses nombreux traumatismes. Les cris des enfants qu'il n'a pas pu sauver et qui résonnent toujours dans sa tête.

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  • Guinée: le désarroi des journalistes, un an après l'interdiction de plusieurs médias
    2025/05/31

    En Guinée, cela fait un an que les autorités guinéennes ont retiré les agréments d’exploitation de plusieurs médias privés, en invoquant un « non-respect du contenu des cahiers des charges ». Au total, ce sont six radios et télévisions, parmi les plus regardées du pays, qui ont cessé d’émettre presque simultanément. Plusieurs mesures similaires ont suivi, le Premier ministre Bah Oury expliquant vouloir « plus de responsabilité et de professionnalisme » de la part des journalistes. Des mesures qui ont largement contribué à fermer l'espace médiatique guinéen.

    Les restrictions autour de la liberté de la presse en Guinée se sont faites progressivement. Les ondes des radios ont été brouillées pendant six mois, avant l’annonce de fermeture de médias privés en mai 2024. « Aucune surprise, estime toutefois Babila Keita, journaliste d’investigation. Parce qu’il y a eu des signes précurseurs qui ont annoncé la volonté des autorités de fermer tous les médias qui ne fonctionnent pas comme elles le souhaitent. C'est-à-dire les médias qui ont un regard critique sur la gestion de la transition. » Son site d'information L'inquisiteur a été suspendu après avoir publié une enquête sur le ministère de la Justice.

    Un « cauchemar »

    Depuis, le pays a dégringolé de 25 places dans le classement annuel de RSF sur la liberté de la presse. Reporter sans frontière (RSF) a recensé la perte de plus de 700 emplois dans le secteur. Une mise au chômage brutale, qui a été difficile à vivre pour les journalistes et techniciens. « Imaginez ce que ça fait ? Faire face à la popote, faire face à la scolarité des enfants, mais aussi aux autres besoins des familles. Ce fut vraiment un cauchemar, difficile à vivre parce que c’est tout simplement du jamais vu, c'est extraordinaire », s'indigne Babila Keita.

    Dans son rapport, RSF dénonce également la multiplication des « agressions, arrestations arbitraires et menaces » envers les journalistes en 2024. Cas emblématique, celui d'Habib Marouane Camara, enlevé en décembre 2024 par des gendarmes et toujours porté disparu aujourd’hui. Dans ce contexte, Babila Keita dénonce une impossibilité d’exercer : « On ne vous confronte pas à la justice ni aux lois de la république, on vous fait disparaître parce que vous dérangez. Avec une telle atmosphère, il serait difficile pour les journalistes d’avoir le courage et l’audace d’exercer librement et en toute indépendance leur profession sans aucune restriction. »

    Mascarade

    Presque un an, jour pour jour, après la fermeture des médias privés, les autorités guinéennes ont organisé un « Forum sur l’avenir de la presse à Conakry ». Abdoulaye Sow fait lui aussi partie de ces journalistes poussés à l’exil par la répression de la presse. À ses yeux, ce forum n’est qu’une mascarade. « C’était exactement le jour de la triste commémoration de la fermeture de ces médias libres là. Comme si c’était un pied de nez à ces médias qui ont été fermés, mais aussi à tous les défenseurs de la liberté de la presse », s'insurge-t-il.

    Le Premier Ministre Bah Oury parle lui de « divorce ». Lors de ce Forum, il a affirmé que « les torts ont été justement rétablis » et que l’année écoulée a permis « d’esquisser une nouvelle forme de la pratique de la presse » dans le pays. Depuis la fermeture des médias privés, c'est essentiellement le média d'État RTG qui traite de l'actualité politique guinéenne.

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  • Cambodge: un journaliste environnemental arrêté après ses enquêtes
    2025/05/24

    Direction le Cambodge aujourd’hui. Le Cambodgien Uk Mao, journaliste environnemental pour le média en ligne Eagle News, a été arrêté le 16 mai dernier. Selon Reporter sans frontières, c’est une « arrestation arbitraire, effectuée sans mandat, et une escalade du grave harcèlement judiciaire dont le journaliste est victime depuis longtemps ». En mars 2025, alors qu’il enquêtait avec deux collègues sur une affaire de déforestation illégale, Uk Mao a été agressé par trois trafiquants de bois présumés. Quatorze plaintes ont également été déposées contre lui, la majorité en lien avec ses reportages. Un symbole d’une régression de la liberté de la presse : depuis 2016, le Cambodge a chuté de 33 places dans le classement RSF, il est désormais 161e sur 180 pays et territoires.

    C’est un sentiment amer pour Gerald Flynn, reporter environnement pour le média Mongabay, et collègue du journaliste Uk Mao récemment arrêté. Lui-même s'est vu refuser son entrée au Cambodge en janvier dernier, malgré la possession d'un visa valide et d'un permis de travail, après cinq ans passé dans le pays. « Uk Mao a été très persévérant sur son travail. L'an dernier, les choses ont vraiment commencé à dégénérer : le chef d'une communauté de la forêt sur laquelle Uk Mao s'était documenté, a été arrêté juste après qu'ils aient vu du bois se faire abattre illégalement. À partir de là, la situation est devenue une spirale, parce que Mao a constamment rapporté ces problèmes, il a aidé à leur faire de l'écho auprès d'un public international, à travers le média Mongabay. Maintenant il fait face à de multiples charges de la part du gouvernement cambodgien », explique-t-il.

    Une presse de plus en plus muselée

    Et pour Gerald Flynn, cette arrestation est en réalité le reflet d'une dégradation globale du paysage médiatique cambodgien. « Il ne reste plus beaucoup de médias indépendants là-bas. Et ceux qui sont toujours en marche, ils opèrent avec une culture de l'autocensure. Ils ne sont plus capables de continuer de travailler avec le niveau de critique, de transparence, et d'indépendance que le Cambodge avait pu avoir précédemment ».

    Une arrestation arbitraire selon RSF

    Face au cas d'Uk Mao, l'ONG Reporters sans frontières dénonce une arrestation arbitraire de la part des autorités. Arthur Rochereau est chargé de plaidoyer, au bureau Asie-Pacifique de RSF. « Il est important de noter que le journaliste a été arrêté sans mandat à son domicile. Donc dans un premier temps, aucun document légal n'a été présenté. C'est seulement après plusieurs heures de détention qu'enfin les autorités ont daigné publier le motif de l'arrestation. Il est accusé d'incitation à commettre un crime et il est accusé également de diffamation. Des accusations qui sont directement liées à ses enquêtes sur la déforestation dans le nord-est du Cambodge. Alors notre demande aux autorités cambodgienne, elle est claire : elle est de cesser leur campagne de harcèlement envers les professionnels des médias, dans le cas d'Uk Mao, donc, de le libérer immédiatement, de lever les accusations contre lui qui sont liées à ses publications. Et au-delà de ça, on demande au gouvernement cambodgien, aux autorités, de prendre des mesures concrètes pour protéger les journalistes et les médias. Qu'ils ne fassent plus l'objet de ces menaces », dit-il.

    RSF rappelle que le Cambodge est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les reporters couvrant des sujets environnement. En décembre 2024, un autre journaliste environnemental a été tué par balle, alors qu’il était en reportage dans le nord-ouest du Cambodge, sur une autre affaire de déforestation.

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  • La loi cybersécurité en Jordanie, une disposition liberticide pour les journalistes
    2025/05/17

    Menace sur l'information ce matin et direction la Jordanie, où la loi sur la cybercriminalité est devenue un outil de répression des journalistes critiques. Un texte adopté en septembre 2023 et que l'association Reporters Sans Frontières qualifie de liberticide. Les journalistes Ahmad Hassan al Zoubi et Hiba Abu Taha en ont fait les frais pendant plusieurs mois derrière les barreaux.

    Avec notre correspondante eu Jordanie, Alice Froussard

    Le son qui ouvre ce reportage à l'écoute est celui d’une vidéo, sur laquelle des Jordaniens manifestent dans les rues de leur capitale, Amman, contre la loi relative à la cybercriminalité.

    Nous sommes en août 2023, quelques mois à peine avant que la Jordanie promulgue cette nouvelle loi controversée : « Diffusion de fausses informations, atteinte à la réputation, menace à la paix sociale, ou encore mépris des religions ». Toutes ces infractions — en ligne — ont désormais de nouvelles définitions, extrêmement larges, et sont passibles de lourdes sanctions pouvant aller jusqu’à trois ans de prison.

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    Si la loi ne cible pas directement les journalistes, ils sont les premiers à en faire le frais.

    C’est le cas d’Ahmad Hassan al-Zoubi, commentateur satirique de 50 ans, fondateur du site d’information Sawalif, et longtemps, chroniqueur dans le quotidien d’État Al Rai. Il ne mâche pas ses mots dans ses vidéos comme en témoigne cet extrait qui date d’avant son arrestation : « Il y a des gens qui tentent d’en finir avec l’injustice de notre pays. Mais ils sont toujours remplacés par des pantins qui ne font que 'oui' de la tête. Qui ne valent que ce que leurs mains peuvent prendre. Car ce sont des esclaves de leurs intérêts personnels. »

    Le 2 juillet 2024, le journaliste est arrêté. Placé dans la prison de Marka, à Amman, condamné un an plus tôt après avoir posté un message sur les réseaux sociaux, critiquant la gestion par les autorités jordaniennes de la grève des chauffeurs routiers à Maan, au sud du pays. Il n’est relâché que six mois plus tard… en janvier dernier après des conditions de détention atroces. Pour la justice du royaume hachémite, Ahmad Hassan al-Zoubi était coupable d’avoir « incité à la discorde entre les membres de la communauté ».

    Un crime selon l’article 17 de cette loi sur la cybercriminalité. Une loi qui donne un très mauvais signal pour la liberté d’expression du pays, estime Marwa Fatafta, de l’organisation Access Now : « Ce sont des sanctions très disproportionnées… Et cela implique aussi qu’en tant que journaliste, vous ne pouvez plus non plus demander à un gouvernement ou à des forces de l’ordre de rendre des comptes. Imaginez un scénario, et c'est déjà arrivé en Jordanie précédemment, où les manifestants ou les journalistes documentent des violences policières. Je pense qu’avec cette loi, un tel acte pourrait vous mettre en danger alors que vous ne faites que filmer ou relater une ou des violations des droits de l’homme ».

    Le 13 mai 2024, la journaliste Hiba Abu Taha a, quant à elle, été arrêtée et détenue à la suite d’un article d’opinion sur les liens entre la Jordanie et Israël depuis le début de la guerre à Gaza. Elle n’est sortie de prison qu’en février dernier.

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  • Au Kenya, la liberté de la presse sous pression économique
    2025/05/10

    Le journal Daily Nation en a fait les frais après avoir révélé un scandale impliquant le gouvernement et l’opérateur Safaricom. En juin 2024, au plus fort des manifestations contre la loi de finances, des citoyens dénoncent des disparitions forcées. Le Daily Nation, journal indépendant fondé par le puissant groupe Nation Media, enquête et met en cause Safaricom. En riposte, l’opérateur suspend ses publicités. Une sanction économique qui pèse lourd et qui devient une arme pour museler la presse.

    Ce sont des plaintes venues de la rue qui ont alerté les journalistes. Des familles ont dénoncé des disparitions inexpliquées de leurs proches après les manifestations contre la loi de finances. Le Daily Nation décide alors d’enquêter. Très vite, leurs révélations dérangent. L’opérateur Safaricom, au cœur de l’affaire, est accusé d'avoir transmis des données privées d’abonnés aux forces de sécurité, facilitant l’identification des manifestants, des organisateurs… et de leur soutien financiers.

    Un travail essentiel, mais qui va coûter cher au journal

    Safaricom suspend ses publicités. Privée de ressources, la rédaction se retrouve fragilisée. Eric Oduor, secrétaire général du Syndicat national des journalistes kenyans, raconte : « Quand il n’y a plus d’argent, la première solution, c’est de réduire les effectifs et de renvoyer du personnel. Déjà l'année dernière, Nation Media a licencié beaucoup de journalistes. Y compris moi-même ».

    Ces pressions économiques, déjà pointées par Reporters sans frontières dans son dernier classement, ne viennent pas seulement des entreprises au Kenya. « Ce n'est pas que Safaricom. Le gouvernement aussi a suspendu ses publicités pour sanctionner des médias critiques. Ce sont des tactiques employées aussi bien par des groupes privés que par le gouvernement pour faire taire les médias, simplement parce qu’ils ont fait leur travail ». Dans ce contexte, l’autocensure s’installe. Pour beaucoup de journalistes, choisir le silence devient parfois… une question de survie. « Certains journalistes préfèrent éviter certains sujets, de peur d’être poursuivis en diffamation. Le risque de perdre son emploi ou de devoir assumer seul des frais d’avocat suffit à dissuader d’enquêter — même les plus déterminés ».

    La répression ne s’arrête pas là

    Récemment, quatre journalistes travaillant sur un documentaire de la BBC, qui dénonçait la répression sanglante des manifestations, ont été arrêtés. Ils demandaient au gouvernement de rendre des comptes. Libérés depuis, leurs ordinateurs et téléphones sont toujours confisqués. Un avertissement clair, selon Eric Oduor, adressé à toute la profession. « C’est de l’intimidation. C’est un message adressé aux journalistes : "Si vous touchez à des sujets sensibles, on viendra vous chercher ».

    Pour Eric Oduor, cette spirale ne doit pas devenir la norme. Il plaide pour un sursaut collectif afin de défendre la liberté de la presse au Kenya. « Il faut défendre nos droits, offrir une assistance juridique, former les journalistes à travailler en environnement hostile, et faire appliquer les lois qui protègent la liberté de la presse. Il faut aussi interpeller les employeurs : garantir un climat de travail digne et sécurisé, c’est leur responsabilité ».

    Un bras de fer désormais porté devant la justice. Safaricom a déposé plainte contre Nation Media Group le 3 avril dernier pour diffusion de fausses informations. L’affaire est toujours en cours.

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  • Victoria Roshchyna, une journaliste ukrainienne morte pour son enquête
    2025/05/03

    En ce 3 mai, journée internationale de la liberté de la presse, on s'arrête ce matin sur l'histoire de la journaliste ukrainienne Victoria Roshchyna, unique journaliste qui couvrait les territoires ukrainiens occupés par la Russie. Alors que les circonstances de son décès l'an dernier n'ont jamais été communiquées par Moscou, le réseau de journalistes Forbidden Stories a publié, mardi 29 avril, une grande enquête sur l'enlèvement et les conditions de détention de la jeune femme. Anne Cantener en parle avec Laurent Richard, fondateur de Forbidden Stories qui nous rappelle d'abord, qui était Viktoria Roshchyna.

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  • En Irak, la radio Al-Salam «baisse les potards» faute de financement
    2025/04/26

    Le 30 avril 2025, elle cessera d'émettre sur les ondes du nord de l'Irak. Depuis dix ans, la radio Al-Salam était devenue le porte-voix des déplacés internes et réfugiés syriens, fuyant l'État Islamique pour trouver refuge au Kurdistan irakien.
    Une antenne apolitique et multiconfessionnelle qui cessera définitivement d'émettre dans quelques jours, faute de financements. Avec la disparition de cette radio c'est aussi l'accès à une information neutre qui va disparaître.

    Elle diffusait en deux langues : le kurde et l'arabe, et son jingle était connu dans tout le nord de l'Irak. Fondée en 2015 par la Guilde européenne du raid, Radio sans frontières, et l'Œuvre d'Orient, cette radio « de la paix » était financée à 50 % par de l'argent public, celui de l'Agence française de développement. « C'est une radio qui tourne à à peu près 200-250 000 euros par an. Le financement public s'élève à à peu près 50 % de ces financements-là. Pour la faire courte, les financements publics n'ont pas été renouvelés dû à des coupes budgétaires au niveau de l'État français » explique Marion Fontenille, directrice de la radio Al-Salam.

    Avec le retrait du plus gros investisseur. C'est ensuite tout le château de cartes financier qui s'effondre. Impossible de continuer à payer les sept journalistes de différentes cultures qui faisaient tourner la radio. Ils laisseront un bassin de cinq millions d'habitants avec une source d'information neutre et vérifiée en moins. Une radio qui sensibilisait aussi à des thématiques peu ou pas traitées par les autres médias comme l'environnement, le genre ou la jeunesse.

    Radio Al-Salam diffusait aussi certaines valeurs, notamment celle de la paix

    Alors que les guerres confessionnelles de ces dernières années ont déstabilisé en Irak la capacité des différentes communautés à vivre ensemble. Pour Marion Fontenille, cette radio créait du lien et un rempart contre les tensions communautaires. « Il n'y a pas de médias indépendants en Irak. Ils sont tous détenus soit par des businessmen qui ont des liens avec des partis politiques ou avec des groupes, encore une fois, les communautés et donc le risque, avec des médias comme le nôtre qui disparaissent dans ce paysage-là, c'est que, en fait, chacun se replie sur sa communauté ou de parti politique ».

    Radio Al-Salam véhiculait aussi des valeurs prônées par la France et permettait de lutter contre la désinformation. Pourtant, dans quatre jours, la directrice coupera l'antenne. « Évidemment que ça me fend le cœur d'être celle qui va éteindre les lumières, baisser les potards et fermer les portes. Malgré tout, je pense sincèrement que ce qui a été fait pendant dix ans, c'est formidable. On reçoit beaucoup de messages de sympathie et je suis persuadée que tout ça n'a pas été fait pour rien et que ça va perdurer d'une manière ou d'une autre ».

    Les journalistes de la radio, eux, sont en train d'envoyer des CV, même s'ils sont bien conscients des réalités des médias irakiens et que leur liberté d'informer ne sera certainement plus la même qu'à Radio Al-Salam.

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