- Arles est encore loin ? - A pied, tu n'y seras sûrement pas avant la nuit. Une boule d'appréhension serra la gorge de Saturnin. Il allait devoir encore passer une nuit dans cet enfer aquatique ! Et avec ce vent ! Le gardian ne put s'empêcher de rire devant son air déconfit. Il fit approcher son cheval. - Monte, je t’emmène ! Dès qu'il eut noué ses bras autour de sa taille, le gardian piqua des deux et l'emporta dans un galop qui lui fit d'abord fermer les yeux. Ils chevauchaient au milieu des roseaux et les sabots du cheval soulevaient de grandes gerbes d'eau Le vent se mit alors à souffler si fort qu'ils ne purent échanger un seul mot de toute la chevauchée. (- Bois mon copain, bois c'est ce qu'il y a de mieux à faire pour commencer !) (Saturnin trinqua avec ses amis et but la première gorgée d'un vin léger aux reflets de rubis.) C'était une grande salle de café au plancher de bois éclairée par des lampes à pétrole. Au milieu, une trentaine de jeunes gens étaient lancés dans la farandole la plus débridée que Saturnin eut jamais vue. Des jeunes gens vêtus de leurs plus beaux atours galopaient, main dans la main, frôlant dangereusement les tables et le comptoir de cuivre, en reprenant à voix haute les paroles que beuglait le joueur d’accordéon. Que la fête était belle du côté d'Arles ! il entra dans la farandole. Il dansa tant de polkas, tant de sarabandes, qu'il ne réussit plus à distinguer le visage des cavalières qui se succédaient à son bras. Il but tout ce qu'on lui offrait : clairette, bière, fine sans eau. Il s'égara, peu à peu, jusqu'à perdre le souvenir même de son nom... Au-dehors, autour de la chaleur du café, la nuit, escortée par le vent, s'écoulait lentement tel un long fleuve d'oubli.